On sait que, dans le cadre d’un référé-suspension contre un arrêté de cessibilité, les propriétaires concernés bénéficient depuis 2014 d’une présomption d’urgence :
« Considérant qu’eu égard à l’objet d’un arrêté de cessibilité, à ses effets pour les propriétaires concernés et à la brièveté du délai susceptible de s’écouler entre sa transmission au juge de l’expropriation, pouvant intervenir à tout moment, et l’ordonnance de ce dernier envoyant l’expropriant en possession, la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi d’une mesure de suspension en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée, en principe, comme remplie ; qu’il peut toutefois en aller autrement dans le cas où l’expropriant justifie de circonstances particulières, en particulier si un intérêt public s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’expropriation » (CE, 5 décembre 2014, n°36522).
On pouvait toutefois penser que, malgré une telle présomption, l’intervention d’une ordonnance d’expropriation devenue définitive était de nature à faire obstacle à l’urgence à suspendre l’exécution d’un arrêté de cessibilité.
En effet, le Conseil d’Etat avait également jugé que la demande de suspension d’un arrêté de cessibilité ne conservait un objet que tant que l’ordonnance d’expropriation n’était pas devenue définitive (CE, 23 juillet 2003, n°256215 ; CE, 20 février 2009, n°316930).
Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 27 janvier 2021 (n°437237), vient cependant préciser que l’intervention d’une ordonnance d’expropriation ne saurait faire obstacle à la présomption d’urgence :
« Eu égard à l’objet d’un arrêté de cessibilité et à ses effets pour les propriétaires concernés, la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi d’une mesure de suspension en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée, en principe, comme remplie, sauf à ce que l’expropriant justifie de circonstances particulières, notamment si un intérêt public s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’expropriation. Il en va ainsi alors même que l’ordonnance du juge de l’expropriation procédant au transfert de propriété est intervenue. »
Il réaffirme ainsi la possibilité, pour les propriétaires concernées, d’obtenir la suspension de l’exécution d’un arrêté de cessibilité, y compris dans l’hypothèse où l’ordonnance d’expropriation est intervenue, sans se préoccuper de la condition d’urgence posée par le code de justice administrative.
Cette décision ne saurait toutefois être considérée comme un revirement de sa jurisprudence antérieure, dans la mesure où le Conseil d’Etat ne dit rien de l’hypothèse dans laquelle une ordonnance d’expropriation serait devenue définitive – ce qui n’était pas le cas en l’espèce :
« Il s’ensuit que le juge des référés, en retenant en l’espèce l’urgence à suspendre les arrêtés litigieux après avoir relevé que la parcelle en cause, sur laquelle se trouvait une partie du jardin de la maison des requérants, était destinée à accueillir la construction de logements, que l’ordonnance d’expropriation, intervenue le 4 décembre 2019, n’était pas devenue définitive, que le bénéficiaire n’avait pas encore fait usage du bien pour y entamer les travaux de construction projetés et que les maisons devant être édifiées sur la parcelle en cause ne représentaient qu’une part très minoritaire du programme de logements envisagé, aucun élément n’étant de nature à établir qu’il était nécessaire de permettre l’exécution immédiate de la décision contestée, n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis ni entaché son ordonnance d’une erreur de droit.. »
Ainsi, sous réserve d’une évolution de la jurisprudence sur ce point, une ordonnance d’expropriation devenue définitive pourrait bien d’objet une procédure de référé-suspension contre un arrêté de cessibilité, faute d’urgence à stater.
On rappellera cependant qu’il n’en est toutefois pas de même d’un référé-suspension formé contre une déclaration d’utilité publique : l’intervention d’une ordonnance d’expropriation devenue définitive ne saurait priver d’objet la requête (CE, 3 novembre 2006, n°293794).
SLG le 12/02/2021